mercredi 29 novembre 2023

Religion en Arabie / Religion in Araby (Part 2)

(English translation is available below.)

Le sujet de la religion n'est pas facile à traiter. Nombreuses sont les personnes qui prennent ce sujet très à cœur et ont des réticences à l'aborder. Nombreuses sont également les personnes à avoir un avis (négatif) très tranché sur la religion, que ce soit un dogme ou un culte en particulier ou tous sans distinction, et n'hésiteront pas à l'attaquer de front sans faire dans la nuance. Ce n'est pas l'objectif ici, et, comme indiqué dans l'article précédent, je ne souhaite ni faire d'étude théologique, ni de critique et encore moins d'apologie. Ce que j'écrirai ici n'est qu'une façon de référencer, d'expliquer et développer les références faites dans le monde de Warhammer quand il s'agit de religion et de spiritualité. Dans cette partie-ci, plus précisément, rappeler la signification des termes réels utilisés dans les sources. Je ne suis pas théologien et je ne fais pas d'analyse critique, il est donc possible que ce que j'écris soit incomplet.

J'insiste donc, encore une fois, sur l'importance de lire l'introduction de l'article précédent afin que des bases communes soient posées et qu'il n'y ait pas d’ambiguïté sur ma démarche.

Mullah

Mullah est un titre honorifique qualifiant dans l'islam et certaines communautés juives un prêtre, le dirigeant d'un lieu de culte ou parfois un individu considéré comme une autorité en matière de théologie ou de droit religieux. Il est dérivé de l'arabe mawlā, مَوْلى, qui signifie maître, seigneur ou gardien. Le terme, à l'époque moderne, a évolué pour désigner des prêtres peu éduqués et plutôt bigots.

Il n'est semble-t-il utilisé qu'une fois dans les sources concernant Warhammer, pour désigner Aklan'd, leader religieux ayant élaboré une doctrine spirituelle dérivée des croyances des tribus nomades d'Arabie. Le dogme d'Aklan'd étant considéré comme dévoyé, mais de nombreux soldats connaissant et brandissant des passages de ses écrits, on peut y voir un mélange des acceptions modernes et anciennes : Aklan'd, probablement pas un théologien à l'origine, a conçu sa doctrine à partir de ce qu'il sait, et ses actes et paroles sont restées dans les mémoires de nombreux Arabiens bien qu'il s'agisse vraisemblablement d'un syncrétisme. 

Bibliotheque nationale de
France, Paris.
Bâzil, Hamla-i haydarî
(un récit de la vie de
Muhammad)
(Kashmir, 1808)
Sept Paradis

Dans toutes les religions monothéistes issues du bassin mésopotamien, le chiffre sept revient fréquemment. L'islam présente un paradis, appelé Jannah, constitué en plusieurs strates accueillant les croyants après leur décès, en fonction de leurs actions de leur vivant. Le nombre de couches constituant le paradis, voire le nombre de paradis, est l'objet de débats théologiques qu'on ne reprendra pas ici. Forces of Fantasy mentionne que dans la doctrine du Mullah Aklan'd le Septième Paradis se nomme Ts'oec. Il s'agit du plus élevé et est visiblement destiné à ceux qui soutiennent sa doctrine contre ses ennemis. 

Si on retrouve dans Warhammer l'idée d'un paradis divisé en plusieurs strates, avec l'usage du chiffre sept, on notera que le nom utilisé est sans rapport avec les termes utilisés en islam.

Calife et Califat

Les termes sont utilisés assez fréquemment dans les sources, référence évidente au monde musulman de notre Bonne Vieille Terre, source d'inspiration de l'Arabie de Warhammer. Le terme khalīfah ne désigne cependant pas spécialement une autorité musulmane : son sens est "successeur", "dirigeant", "souverain". Il n'a pas de vocation religieuse en premier lieu, bien qu'on le considère souvent comme une version raccourcie de Khalīfat Rasūl Allāh, "successeur du messager d'Allah". Les textes préislamiques montreraient plutôt qu'elle signifie à l'origine "successeur désigné par dieu". Dans le Coran, c'est Adam qui le premier est nommé khalīfah, lorsque Dieu demande aux anges de se prosterner devant lui.

Dans Warhammer, il semble exister de nombreux califats en Arabie et on peut donc considérer que le terme renvoie à son sens premier de "souverain", et pas forcément à son sens religieux. Il est toutefois fait mention du Calife de Ka Sabar qui fait brûler tous les exemplaires disponibles du Livre des Morts pour des raisons semble-t-il religieuses, tandis que l’Oeil du Calife est censé surveiller les hérétiques. On mentionne également à propos de Khalibon qu'il n'y a pas de calife pour dicter une religion, ce qui rappelle cette fois-ci explicitement la dimension religieuse du statut. Si on veut prendre en compte ces différents éléments, il est probable que l'Arabie de Warhammer ne connaît pas vraiment de centralisation religieuse et qu'existent de nombreux califes, ceux-ci pouvant éventuellement avoir des interprétations théologiques différentes, mais restant avant tout les souverains de leurs royaumes respectifs avant d'être des religieux. On pourrait à se propos mentionner la nouvelle The Two Crowns of Ras Karim, où le calife est couronné par "le grand prêtre", ce qui suppose qu'un calife n'est pas nécessairement celui qui dirige le culte lui-même, du moins pas directement. Ceci n'empêche pas qu'il puisse y avoir une autorité centrale théorique, ou plus pratique, en fonction des époques.

Derviches

Du persan derviš, qui signifie "pauvre, mendiant". La pauvreté dont il est question est autant de nature matérielle que spirituelle, dans le sens où le derviche consacre l’entièreté de son être à la pratique rituelle, la recherche de la pureté spirituelle et la connaissance qui permet d'atteindre cette dernière. Il s'agit donc d'une discipline tant intellectuelle que physique, mais les Derviches de Warhammer sont plutôt la représentation fantasmée de ces guerriers virevoltant avec leurs armes, dansant de façon rituelle pour honorer leur dieu et brandissant leurs armes tels des fanatiques.

Cette image moderne provient de l'assimilation progressive du terme derviš à des confréries soufies qui associent fortement le chant et la danse à leur pratique spirituelle, notamment l'ordre Mawlawiyya, les célèbres "derviches tourneurs" qui pratiquent la danse jusqu'à entrer dans une forme de "transe" qui je pense correspond à leur capacité "berserk" dans les premières versions de WFB. J'ai personnellement opté pour atténuer le côté "berserk" et mettre plus en avant l'aspect culturel et spirituel, pour en faire une carrière plus civile que militaire et ouvrir les perspectives de jeu au-delà des affrontements purs.

Prophète

Le terme de prophète apparaît à de multiples occasions, mais on pensera notamment au supplément Relics of the Crusades pour Mordheim et la trilogie Orfeo. Le mot français ou anglais dérive du latin, lui-même ayant emprunté au grec προφήτης, prophḗtēs,, et signifie "interprète de la parole divine". Ceci correspond à la définition moderne habituelle du mot à l'époque moderne, mais le prophète est réputé révéler des événements à venir, ce qui correspond à l'étymologie du terme puisque pro et phesein signifient respectivement "à l'avance" et "dire". Il a également été utilisé dans les traductions grecques et latines de la Septante hébraïque pour le mot hébreu נָבִיא, "nāvî". Ce dernier, à l'instar de l'arabe نبي , "nabī", désigne celui qui interprète et transmet la parole divine aux humains.

Dans Warhammer, les multiples mentions des prophètes tendent plutôt vers l'interprète du divin, figure charismatique qui cherche à pousser la population vers une certaine religiosité ou certaines pratiques sans qu'il soit particulièrement fait référence à des capacités divinatoires.

Allah

Probablement la référence la plus controversée, Allah est mentionné dans le livre 3 de WFB2, rien de plus. Allah est le nom donné à Dieu par les musulmans mais dans la pratique, il se traduit par "le dieu". "Le" dieu, donc dans l'absolu un dieu monothéiste (ou le dieu vénéré dans un système monocentrique). On retrouve cette racine akkadienne 'l chez des divinités dans le monde mésopotamien : El à Ougarit, Ilû à Ebla, Elohim chez les Hébreux. D'autres termes sémitiques sont utilisés comme des noms communs pour désigner des divinités, par exemple b'l qui signifie "seigneur" mais que les écrits chrétiens ont popularisé comme "Baal", divinité ou démon, ou encore mlk qui signifie "roi" mais que les textes judéo-chrétiens ont par la suite interprété comme le Moloch qui deviendra, pour la plupart des gens, un démon ou un dieu mangeur d'hommes.

Uzzal et Ishtra

Relics of the Crusades mentionne l'existence d'une déesse nommée Uzzal, divinité de la protection. Il fait peu de doutes, vu la proximité phonétique, que ceci soit une référence à la déesse al-‘Uzzā, parfois simplement Uzzā, mentionnée dans le Coran mais aussi dans la littérature musulmane. Il s'agit de la plus puissante d'un trio de déesse vénéré dans l'Arabie préislamique, notamment par la tribu des Quraych dont est issu le prophète Mahomet. Elle est mentionnée aussi bien dans des cris de guerre que dans des ex-voto à vocation médicale ou protectrice. Al-‘Uzzā apparaît par ailleurs dans les "versets sataniques" qui ne figurent pas dans le canon du Coran et où elle est désignée comme la fille d'Allah.

Possible représentation de la trinité, temple
de Hatra, en Irak, entre les Ie et IIIe de
notre ère. Exposé à Baghdad, Irak.

Le même segment évoque la déesse Ishtra, qui préside à la destinée. Le nom évoque immanquablement Ishtar, autre divinité orientale. Présente à de nombreuses époques et dans de nombreuses civilisations mésopotamiennes, elle est aussi bien une déesse guerrière qu'une souveraine, tout en présidant à l'amour et au sexe. Il y a donc peu de liens avec l'Ishtra de Warhammer, sauf si on la considère sous son aspect de divinité astrale liée à Venus et donc d'une certaine façon à la destinée par le biais de l'astrologie, ou qu'on l'envisage sous l'angle de la "faiseuse de rois" qu'on invoque pour assurer sa légitimité en tant que souverain. Il est intéressant de noter qu'une autre divinité du bassin Mésopotamien, Asherah (qui est un nom commun désignant la parèdre d'un dieu souverain comme El à Ougarit ou Anu à Sumer), était une déesse de la fertilité et avait parfois comme titre al-Lat qui signifie potentiellement "la déesse". Le sujet est vaste et complexe et on évitera de se perdre dedans, mais il s'avère que ce titre est également le nom d'une divinité vénérée dans l'Arabie pré-islamique, al-Lât, connue par ailleurs comme Allat ou Alilat, au sein de la même trinité féminine que al-‘Uzza. Alilat est décrite par Hérodote comme l'équivalent arabe d'Aphrodite, qui elle-même est dérivée de la déesse phénicienne Astarte, cette dernière étant l'équivalent pour l'ouest du monde sémitique de la divinité Ishtar, et la boucle est bouclée, Alilat et Ishtar partageant par ailleurs certains symboles comme le lion. 

Bizarrement, la troisième déesse de cette trinité préislamique, Manât, n'est pas référencée dans Relics of the Crusades alors qu'historiquement c'est elle qui préside au destin et non al-Lât.

Le passage qui concerne ces deux déesses mentionne que les prêtres de l'Unique n'apprécient pas du tout la vénération de l'ancien panthéon arabien et qu'ils cherchent à convertir les fidèles qu'ils feraient prisonniers. Cet élément ainsi que les noms des deux déesses renvoient ici bien évidemment à l'avènement de l'Islam dans la péninsule arabique et à la disparition progressive du panthéon préislamique.

Dieu unique et polythéisme

Il est fait à de nombreuses reprises mention d'un "dieu unique", essentiellement dans la trilogie Orfeo ainsi que dans Relics of the Crusades, toutes deux les sources les plus fournies sur l'Arabie en définitive. On y ajoutera la mention d'Allah dans WFB2 comme indiqué ci-dessus. A propos de ces différentes mentions, je renverrai à la partie 1. Le même Battle Bestiary pour WFB2 indique que les Arabiens sont unis sous une même religion.

Pour autant, nous disposons aussi de multiples sources évoquant plusieurs dieux (voir le point précédent sur Uzzal et Ishtra), ou à minima des offrandes faites à des entités autres, comme les djinns. C'est le cas dans Warmaster, où il est spécifiquement indiqué que les Arabiens superstitieux cherchent à apaiser ces entités par des offrandes. Dans les romans, plusieurs passages permettent de déterminer que certains Arabiens reconnaissent l'existence de plusieurs divinités, par exemple le sultan d'Aiir, Hamqa, dans The Voyage South qui conjure un de ses interlocuteurs "au nom des dieux". Une telle formulation ne correspond pas à mon sens à celle qu'emploierait le calife de Mahabbah qui martèle qu'il n'existe qu'un seul et unique Dieu en Arabie, sauf si l'objet de sa dévotion était un dieu existant parmi d'autres divinités dont il ne nierait pas l'existence sans pour autant les vénérer. On serait alors dans le cas du monolâtrisme, qui privilégie voire impose un dieu parmi les autres sans pour autant rejeter l'existence des autres. Si l'on considère d'autres sources, cette forme de religiosité est tout à fait plausible pour l'Arabie : le livre d'armée Rois des Tombes pour WFB6 évoque un festival de Djaf se tenant à Bel Aliad. Or, Bel Aliad était avant sa destruction la capitale de l'empire arabien, impliquant ainsi que Djaf est le Dieu Unique dont il question précédemment, une entité au sein d'un panthéon plus large ou les deux à la fois. On notera que Djaf est dieu néhékharéen, ce qui rappelle le lien culturel et historique entre les Arabiens et Nehekhara, qui fait écho à un autre élément : dans la trilogie de l'Ascension de Nagash, Geheb, autre divinité néhékharéenne, est la divinité tutélaire de Ka Sabar. La même trilogie évoque largement Khsar, le dieu dévorant du désert que vénère les nomades qui se manifeste ici en tant qu'un vent de sable tourbillonnant, ce qui rappelle furieusement les démons de poussière, un des types de djinns mentionnés dans le tome 3 de Forces of Fantasy. Khsar figure également parmi les dieux néhékharéens, d'après le livre d'armée Rois des Tombes pour WFB8. Ce dernier supplément, à l'instar de trilogie de l'Ascension de Nagash, rappelle la connexion historique et culturelle entre les Néhékharéens qui se sédentarisent et les tribus nomades du désert qui fondent plus tard leurs propres cités. Nous avons ici un développement tangible, sur plusieurs éditions et types de publication, attestant que les Arabiens vénèrent ou ont vénéré tout ou partie du panthéon néhékharéen. 

Sombre est l'Aile de la Mort,
édition française

De plus, le supplément Sombre est l'aile de la Mort pour WFRP1 évoque l'existence de cultes aux serpents. Rapporté à notre vieille Terre, ceci fait écho à de nombreuses spiritualités africaines ou mésopotamiennes, pour rester dans le thème, mais aussi en Amérique, en Europe et en Asie. En Mésopotamie, le serpent est symbole d'immortalité, sa mue étant assimilée à la renaissance. Dans l’Épopée de Gilgamesh par exemple, c'est un serpent qui vole le fruit d'immortalité au héros éponyme alors qu'il revient de sa quête. De façon intéressante, Relics of the Crusades propose un objet magique appartenant à un ordre de chevaliers hérétiques appelés les Moines du Serpent, excommuniés par le Grand Théogoniste. On pourrait facilement y voir un ordre de chevalerie impérial ayant intégré des pratiques spirituelles arabiennes après avoir été posté en Arabie.

Il n'y a ainsi pas réellement de problèmes à faire coexister une forme de monothéisme, inspirée des religions du Livre de notre réalité, à d'autres formes de religiosité. Hénothéisme et monolâtrie peuvent cohabiter avec les tentatives d'imposer une version monolithique du culte de l'Unique qui ressortent de certaines sources. Ceci correspond, si on prend comme référence notre vieille Terre, à la progressive imposition de l'islam au détriment des religions préislamiques du monde arabe, mais aussi dans d'autres zones géographiques comme l'Afrique du Nord, ce changement progressif entraînant en revanche un certain syncrétisme. En effet, les communautés locales abandonnent rarement l'intégralité de leurs croyances et celles-ci sont intégrées d'une façon ou d'une autre dans la religion fraîchement adoptée. Ce phénomène est parfaitement habituel dans l'histoire réelle, et se retrouve par exemple au Maghreb. Dès lors peuvent s'opposer des visions rigoristes du culte et des versions plus souples, comme c'est par exemple le cas entre l'islam sunnite qui rejette ardemment la vénération de saints alors que la pratique est connue dans les milieux soufis ou au Maghreb. De même, la croyance en l'existence et aux pouvoirs des djinns est fermement ancrée dans les spiritualités locales. Historiquement, on peut également penser au fait que la religion hébraïque n'est pas, à la base un monothéisme, mais un hénothéisme comme tant d'autres dans le bassin mésopotamien, Yahvé étant la divinité tutélaire d'une cité ou d'une zone géographique avant que la théologie n'efface progressivement la possibilité de reconnaître l'existence de plusieurs dieux, durant l'exil à Babylone. 

Rituels religieux

Illustration des mercenaires du Mullah
Aklan'd dans le Citadel Journal.

L'Arabie étant pour ainsi dire à peine développée, nous n'avons quasiment aucune mention de rituels religieux à proprement parler. On notera cependant quelques courtes références, par exemple le fait qu'un pillard norse indique dans Blades of Chaos qu'il a entendu dire que les Arabiens priaient le soleil couchant. Il s'agit donc d'un on-dit, mais admettons que cette information puisse être prise comme un fait, ceci ne correspond pas à la tradition musulmane. La salât musulmane, صلاة en arabe, est actuellement réalisée tournée vers la Mecque et non vers le soleil couchant, pas plus que les salât chrétiennes ou juives. S'il fallait chercher un culte solaire dans cette aire géographique du monde réel, il faudrait plutôt se tourner vers le zoroastrisme où le soleil revêt effectivement une importance particulière. Ahura Mazda, sa divinité principale, est également appelée Ormuzd. C'est certainement cette référence qui est reprise par Ken Rolston dans son supplément non officiel Realm of Divine Magic, sous la forme d'Ormazd. Il est intéressant de constater que le symbole sur le bouclier d'un des hommes d'Aklan'd est un soleil stylisé de la même façon que le symbole de la liste d'armée des "hommes de l'est" dans Forces of Fantasy semble être un bouclier portant un emblème similaire (le bouclier rayonnant par ailleurs), surmonté d'un casque et placé devant deux cimeterres croisés.

Relics of the Crusades indique que le savon est utilisé lors de rituels religieux. Ceci fait référence à la Tahara, l'état obligatoire de pureté avant toute prière musulmane. Il implique des ablutions censées éliminer les impuretés du croyant, même si la définition de ces impuretés varie énormément d'un courant à l'autre. Cette pratique est par ailleurs fréquente et on la retrouve dans de nombreuses religions, du christianisme ou shintoïsme même si l'ablution peut être plus ou moins symbolique.

La même source mentionne l'usage intensif de chants, hymnes, poèmes et prières. A ce sujet, on pourra ici mentionner par exemple l'existence d'une poésie religieuse musulmane, les أناشيد, nasheed en arabe, qui se traduit par des chants polyphoniques généralement non accompagnés d'instruments de musique, ou encore le قوّالی, qawwalî en arabe, qui désigne essentiellement un genre musical exprimant une dévotion soufie. Ci-dessous, un dhikr soufi réalisé par des Uyghur en 1988.


Relics of the Crusades, toujours, évoque les offrandes sous forme de nourriture, à l'intention aussi bien des saints que des djinns ou encore des martyrs. Warmaster précise qu'il est traditionnel d'offrir objets, nourriture et boissons aux djinns. également On pourra également mentionner à ce propos le poulet offert à une ou des entités non identifiées par un marin arabien dans le roman Fell Cargo.

Halls de prière, prêtres, martyrs et saints

Relics of the Crusades évoque en plusieurs occasions des "hommes saints" (holy men en anglais) et des martyrs (en grec μάρτυς, mártus, "témoin"). Le mot arabe pour martyr شَهيد, šahīd, désigne le témoin de la foi et dans l'islam sert à qualifier celui qui meurt pour le jihad (le jihad désigne l'effort vers Dieu, pas nécessairement la violence, et cet effort est généralement spirituel et intellectuel plus que martial), ce qui rejoint le sens grec et latin. On peut aussi considérer le mot arabe استشهاد, istishhad, qui cette fois désigne spécifiquement la mort héroïque au combat pour défendre l'islam. Ceci correspondrait, dans le cadre de Warhammer, plus spécifiquement aux guerriers tombés au combat mentionnés comme promis au septième paradis d'Aklan'd (voir points précédents).

Il n'est pas dit grand-chose des prêtres, qui n'ont d'ailleurs pas de nom spécifique. Le roman Zaragoz, de la trilogie Orfeo, les appelle "prêtres" et les qualifie de "sévères". Ils sont réputés chasser les forces du mal, notamment les djinns qui sont considérés au moins par le calife de Mahabbah comme des entités maléfiques, et combattre les ennemis de l'Arabie. Catacombs of Terror pour Warhammer Quest les nomme également "prêtres".

Les sources ne sont pas non plus prolifiques sur les temples ou lieux saints arabiens. Tout au plus Relics of the Crusades, là encore quasiment la seule référence à l'évoquer, parle de halls de prière où des "hommes saints" peuvent être vénérés. En arabe, on parlerait de mosquée, masjid, terme dérivé de l'araméen masgədā et qui n'est pas spécifique à l'islam : il s'agit simplement du lieu où l'on s'agenouille et se prosterne pour prier. Il faut toutefois évoquer le Minaret de Mazkwitt, situé en Estalie et mentionné dans Relics of the Crusades. De l'arabe  منارة, manāra, qui signifie phare (et dont la racine sémitique et la même que la menorah juive), le mot désigne la tour d'où parte les appels à la prière lancés par les muezzin. La source n'en dit pas plus mais on peut dès lors imaginer que les Arabiens de Warhammer utilisent eux aussi des muezzin.

Pèlerinage de femmes au mausolée de
Lalla Yamna N'Brahimd vers 1930, au Maroc.
Elles apportent offrandes alimentaires
au son d'instruments de musique et de chants.

On notera que les Arabiens dévots de l'Unique vénèrent donc des "hommes saints", ce qui ne se pratique pas dans la majeure partie des courants de l'islam. Il s'agirait ici donc plutôt un élément chrétien, bien que le terme arabe وَليّ, walīy, désigne un "ami de Dieu" qui sert de patron ou de guide spirituel. Dans certaines parties du monde musulman, notamment le Maghreb, les communautés vénèrent également des marabouts (مرابط, murābiṭ) dont les tombeaux peuvent faire l'objet d'un culte. Ces pratiques sont condamnées par l'islam sunnite. Pourtant, les communautés d'Alger entretiennent une liste de saints, par exemple M'hamed Ben Abderrahmane, fondateur de la confrérie soufie Rahmaniyya. Pour proposer un pendant féminin, mentionnons Lalla Manoubia, sainte musulmane, savante, théologienne, autorité religieuse et protectrice de sa région natale, Manouba, en Tunisie. Ces différences locales et culturelles, sur notre Terre, peuvent être utilisées comme exemple pour diversifier les pratiques religieuses chez les Arabiens de Warhammer, tous ne pratiquant pas leur religion de la même façon (voir le point précédent sur le polythéisme).  

Idoles

Il est fait mention d'idoles arabiennes, mais essentiellement dans des textes mettant en scène des croisés bretonniens, en l'occurrence les passages concernant les croisades dans WFB5 et le Livre d'armée Bretonnie. Il est difficile de savoir si les Arabiens possèdent effectivement des "idoles" (une représentation matérielle d'une divinité, incarnée dans l'objet) ou si on se place uniquement du point de vue des Bretonniens qui abattent une statue dans un bâtiment contrôlé par des Arabiens.

Les idoles sont un moyen classique de décrédibiliser des adversaires religieux dans les monothéismes issus du bassin culturel mésopotamien. En effet, ces représentations physiques de divinités sont considérées comme une preuve que l'adversaire entretient des croyances ridicules par rapport à l'omnipotence d'un dieu unique qui ne pourrait être réduit à un si petit objet. Les textes hébraïques tardifs (postérieurs à l'exil à Babylone, donc) dénoncent les pratiques idolâtres dans et autour des Royaumes de Jérusalem et de Juda, l'Islam interdit la représentation de Dieu en raison de sa transcendance le rendant impossible à matérialiser, le christianisme condamne la vénération de statues. La diabolisation des pratiques de l'adversaire est courante pour le décrédibiliser et le rendre trop "différent" d'un point de vue religieux pour qu'on puisse le comprendre. Dans le cas de la mention des idoles dans Warhammer, il est ainsi difficile de savoir si les Arabiens utilisent bien des idoles, ou s'il s'agit de simples statues à vocation religieuse ou non que le point de vue bretonnien fait passer comme telles. Aucune source dans Warhammer ne mentionne cependant l'absence de statuaire en Arabie.

Le roi sassanide Bahram Gûr et la harpiste
Azadeh, scène du Shah Nâmeh, fin XIIIe
ou début XIVe, Kushan, Iran

La mention d'icônes, de reliques ou encore d'un masque à vocation religieuse dans Relics of the Crusades exclue cependant que l'Arabie de Warhammer soit uniformément soumise aux mêmes principes musulmans modernes de la non-vénération d'objets, voire la simple représentation humaine ou animale, tels qu'ils apparaissent dans le sunnisme. D'autres courants religieux musulmans sont nettement moins stricts et ne découragent pas la production de visages humains, par exemple. Il est donc encore une fois facile d'imaginer des différences notables entre courants religieux ou régions, permettant de diversifier l'Arabie de Warhammer et la rendre moins monolithique que ce que l'ont pourrait croire.

Barbe

La barbe est mentionnée dans Relics of the Crusades comme un marqueur religieux identifiant un fidèle de l'Unique, le distinguant d'un fidèle de Sigmar. Le port de la barbe est une tradition musulmane mentionnée dans un hadith, qui en prône l'usage pour se distinguer des polythéistes. Sur notre vieille Terre cependant, le port de la barbe n'est pas spécifique aux musulmans et chrétiens comme juifs du Proche-Orient la portent pour des raisons culturelles ou religieuses.

Rejet du luxe et charité

Dans la trilogie Orfeo, le calife de Mahhabah indique que son Dieu Unique rejette le luxe. Relics of the Crusades mentionne par ailleurs que lors des Croisades, la religion arabienne comme celles du Vieux Monde ont appris aux fidèles à mépriser l'argent et à faire des dons aux cultes pour une meilleure utilisation des richesses. La même source propose également la charité comme une compétence accessible en jeu aux héros religieux.

Du point de vue du monde musulman, on rapprochera cet élément de la zakât, un des piliers de l'islam supposant la redistribution des richesses en faveur des plus pauvres.

Consommation d'alcool

Relics of the Crusades semble impliquer que les fidèles de l'Unique ne boivent pas d'alcool, par le biais des règles qui constituent la "Voie de l'Unique", une des catégories de talents pour les personnages. En terme de jeu, le personnage se doit  d'être sain de corps et d'esprit, et ne peut pas consommer de drogues ou de bière de Bugman tels que ces ressources existent dans le jeu. On en conclura que la consommation de drogues et d'alcool est interdite, au moins pour une partie des Arabiens de Warhammer.

Ceci est bien sûr à mettre en rapport avec le Ḥarām arabe, qui dans la liste des interdits peut contenir l'alcool ou d'autres substances nocives. L'interdit des boissons alcoolisées a cependant varié avec le temps, les courants religieux et les régions, et le vin a par le passé été considéré comme un facilitateur du dialogue avec le divin, en raison de l'état d'euphorie que sa consommation peut entraîner. Le terme khamr désigne ces produits intoxicants, mais ce qu'il recoupe exactement change en fonction des auteurs, des époques et des zones géographiques. On peut donc facilement transposer cette incertitude dans Warhammer et proposer des degrés de rigueur dans la pratique religieuse chez les Arabiens.

On notera à ce sujet que certaines sources font mention de tavernes arabiennes faisant commerce d'alcool, par exemple la nouvelle The Two Crowns of Ras Karim, avec ce passage où Gotrek commande une bière :

‘Worst beer I’ve ever had.’

‘That is because it is not beer,’ said the merchant. ‘Ras Karim is not rich in wheat like your northern lands. It is tialva, made from sorghum.’

‘Sorghum?’ Gotrek choked. ‘Valaya preserve me.’ He glared behind the bar. ‘Do they have anything else?’

The merchant nodded. ‘Try the arag, our native drink. It is made with anise, and very potent.’

‘Anise.’ Gotrek shuddered. He turned away from the merchant and pounded the bar. ‘Barkeep! More piss water!’

Deathblow N°3
Ici, le tavernier propose de l'arag, une boisson locale à base d'anis. Sur notre bonne vieille Terre, l'arag est une boisson traditionnelle du Bhoutan, mais pas à base d'anis. Pour la petite histoire, on notera qu'à défaut du Bhoutan qui n'a aucun lien direct avec la péninsule arabique, Relics of the Crusades propose l'existence de la région du Ghutan en Arabie. L'arag donc est probablement ici confondu avec l'arak, qui est une boisson alcoolisée à base d'anis, courante au Proche-Orient, notamment le Liban, Israël, la Palestine, la Jordanie ou la Syrie. L'autre boisson consommée par Gotrek est une tialva, bière de sorgho courante répandue en Afrique du Sud notamment. Autre exemple de boisson alcoolisée, le magazine Deathblow N°3 consacré à Warhammer Quest mentionne une "bière de racine" brassée à partir de nombreux ingrédients tels que des carapaces de scarabées, des fleurs de cactus et de salive de camélidé. Les règles de rencontre dans les tavernes impliquent par ailleurs explicitement des individus fortement alcoolisés.

Comme exemple contraire, on pourra mentionner que dans la trilogie Orfeo, le calife de Mahhabah explique que son Dieu Unique a banni la consommation de vin et que seuls le hasheesh et l'opium sont des euphorisants autorisés. Ceci contredit aussi bien Relics of the Crusade ou Deathblow, où les drogues sont interdites, que The Two Crowns of Ras Karim, où des boissons alcoolisées traditionnelles sont en vente libre.

Par ces différents exemples, on peut ainsi attester du fait que l'interdit consommation d'alcool ou de drogue n'est pas uniforme en Arabie, ce qui permet de développer des différences culturelles et religieuses entre courants spirituels, régions ou ethnies.

Pierre tombale musulmane
de l'ouest de l'Inde, 15e siècle,
British Museum

Rites mortuaires

Le roman Luthor Huss mentionne les pierres tombales taillées en pointe des Arabiens. Les stèles funéraires musulmanes, sur notre vieille Terre, sont aujourd'hui généralement pointues pour rappeler la coupole d'une mosquée, mais ce n'est pas obligatoire. WFB1 indique par ailleurs que les prêtres arabiens sont versés dans l'art de la momification. On le voit par exemple par l'intermédiaire de la momie du prêtre arabien présent dans le supplément Sombre est l'aile de la Mort pour WFRP1.


En conclusion, j'espère que ces quelques informations pourront servir d'inspiration à des joueurs et maîtres de jeu cherchant à transposer un peu du monde réel dans leurs campagnes, en s'appuyant sur ce que Game Workshop a pu publier d'officiel, tout en esquivant les pièges du monolithisme et la peur de froisser une communauté ou une autre : comme pour toutes les civilisations de Warhammer, les sources s'inspirent de notre bonne vieille Terre pour donner une "saveur locale" à un peuple, ce qui ne fait pas de ce dernier une copie conforme de son supposé équivalent. Et d'un point de vue linguistique ou culturel, l'islam emprunte à l'arabe et aux autres langues du bassin mésopotamien et ne peut en aucun cas être considéré comme un ensemble parfaitement lisse et uniforme, chaque région cultivant ses propres croyances et spécificités. Il serait en l’occurrence dommage de vouloir à tout prix éviter d'utiliser des termes arabes qu'on assimilerait exclusivement et à tort à un islam "pur" qu'on penserait attaquer, comme il serait dommage de ne pas exploiter cette diversité spirituelle et culturelle bien réelle et les débats théologiques qui peuvent en découler. Libre à chacun donc d'utiliser des termes arabes, araméens, perses ou autre pour développer cette "saveur locale" qui ferait de l'Arabie ce reflet fantastique du Proche et Moyen-Orient terrestre sans y être lié en réalité.