jeudi 9 juin 2022

Aklan'd, les elfes et les croisades /Aklan'd, elves and crusades

 (English translation is available below)

Mok Tar Hain - White Dwarf français N°147
Une des choses qui m'intéressaient le plus en écrivant les Sables Périlleux étaient, en quelque sorte, de "rapatrier" dans un contexte moderne des éléments littéraires et narratifs aussi bien anciens que récents dans l'histoire éditoriale de l'univers de Warhammer. J'ai déjà largement abordé ce point en introduction et conclusion du supplément, mais utiliser des éléments aussi disparates, et qui dans certains cas peuvent sembler incohérents, est quelque chose qui me fascine. L'exercice consistant à trouver des concordances entre des éléments à priori sans rapport est souvent l'occasion d'exploiter les failles d'un univers pour y développer du sens, au lieu de les subir. Ceux qui connaissent un peu Star Wars et qui ont vécu les grandes années de ce qu'on appelle maintenant Legends se souviendront des multiples cycles de production qui, durant les années où ils se chevauchaient (au hasard, la période The Clone Wars qui précéda l'effacement d'un univers après le rachat de la franchise, même si on pourrait aussi évoquer la prélogie qui, par deux fois, mit un coup de pied dans une fourmilière de récits déjà établis, avant et après l'Episode I), entraînèrent ce qu'on appelle bien volontiers des retcons. Pour de nombreuses personnes, ces retcons sont plus des aveux d'échecs et du rafistolage qu'autre chose. Pour moi, il s'agit d'occasions, de chances de creuser encore un peu l'univers et de non seulement trouver du sens, mais d'être créatif et de développer un nouvel événement intéressant. 

C'est dans cette optique que j'ai essayé de travailler. Le sujet de l'article est justement une de ces tentatives de trouver du sens dans des éléments disparates mais permettant de dégager une thématique intéressante. Quid des elfes en Arabie, donc ? Il y a peu de mentions, à part que les elfes sont présents dans quelques ports. Essayons de récapituler ce que l'on sait.

Livre d'armées Rois des Tombes - WB6
Les cartes

Le plus évident figure sur de multiples cartes : la présence de ruines elfiques sur les rives du Golfe de Medes. On les retrouve sur de nombreuses versions des cartes, mais je vais les illustrer par un élément intéressant, qui se trouve dans le Livre d'armées Rois des Tombes de 2002. On y constate qu'à l'apogée de l'empire d'Alcadizaar, en -1200, il s'agit déjà de ruines, et qu'elles sont situées en dehors de l'extension maximale de Nehekhara. 

On notera également que le Livre d'armées Haut Elfes de la sixième édition indique que les elfes ont occupé une partie des côtes arabiennes au même titre que le Vieux Monde, et que l'implantation a eu lieu entre -4110 et -2200...mais d'après cette carte, pas les ruines elfiques évoquées ci-dessus. On peut donc en déduire que les elfes ne se sont pas limités à la Corne d'Arabie.

Livre d'armées Hauts Elfes - WB6

Aklan'd et les croisades

Citadel Journal - Printemps 1985

Les Death Commandos d'Aklan'd font partie des plus anciens Régiments de renom sortis pour Warhammer, en l'occurrence en juillet 1984. Ils figureront aussi dans le Citadel journal 1 du printemps 1985. Les informations sont disponibles sur Solegends (que je recommande, comme d'habitude !). Je ne reviendrai pas entièrement sur le fluff qui entoure Aklan'd, mais son lien avec les elfes est explicite :

C'est le mollah Aklan'd, sorcier talentueux et fanatique, qui a été le premier à mener les hommes de l'Est contre les terres elfiques. De son vivant, le Mullah avait réduit les nations elfiques à quelques poches de résistance isolées et pris le contrôle de toutes leurs anciennes routes commerciales. C'est à cette époque que les Elfes des Mers entreprirent la plupart de leurs grands voyages à travers les mers occidentales.

Le mollah est donc l'instigateur d'une guerre importante contre les nations elfiques, poussant les elfes à fuir en prenant la mer. J'ai conservé, dans les Sables Périlleux, l'idée des Death Commandos mais en les rebaptisant Tabors Funestes, car le nom en lui-même est réellement daté et très peu thématique. Tabor est le nom donné, dans l'armée française, aux bataillons de soldats africains, et vient du turc Tabur, qui signifie "bataillon" et qui lui-même vient de l'arabe طابور, « ṭābūr ». Le mot funeste est là pour rappeler l'origine sinistre du groupe et de son nom. Rendons à César ce qui est à César, l'idée est de Nicolas, qui préside par ailleurs l'association Tribocii/Civitas Triborocum !

On a tendance à placer ces événements durant les croisades, à cause de la mention d'une incompatibilité avec les Chevaliers d'Origo, autre Régiment de renom explicitement existant durant les croisades d'Arabie, mais je préfère le placer bien plus tôt, sachant que les Régiments de renom sont très loin d'être tous issus de la même période. L'incompatibilité mentionnée entre les deux groupes vient tout simplement de leur xénophobie et de leur détestation des origines précises de l'autre régiment. Dans la mesure où il est également dit par ailleurs que de nombreux Arabiens portent sur, eux, au combat, des versets tirés des écrits d'Aklan'd, on peut facilement imaginer une figure séculaire dont la doctrine aurait profondément pris racine dans la culture de la péninsule. Si ce dernier a "libéré" l'Arabie de l'emprise elfique, ceci peut se comprendre.

L'Alliance d'Aer

Book of Battalions

Le Book of Battalions est une compilation d'un certain nombre de listes d'armée qui servirent à tester la version de Warhammer Battle de l'époque, Forces of Fantasy. Comme une bonne part des livres sortis à cette époque, en 1984 en l'occurrence, le contenu est mâtiné d'une bonne dose de parodie et de satire, y compris dans les noms des personnages. Même en laissant de côté l'aspect parodique, on peut retenir une liste d'armée intéressante pour le cas qui nous occupe : la Grande Alliance Elfique. Celle d'Aer, le dernier des Dressairs, unissant Hauts Elfes, Elfes Sylvains et Elfes Maritimes contre "la grande menace de l'est". Comme l'indique le texte, certaines mauvaises langues disent que les croisades d'Aer avaient pour unique objectif d'améliorer les opportunités commerciales et économique de son peuple. On sait aussi que l'Alliance fût de courte durée. Les membres de cette Alliance sont connus : Aer, roi des Elfes Maritimes des Havres Blancs, les territoires de Barathome, Adriel Galabrovil, héritier du royaume Haut Elfe de Gondossin, Rollo Tripleg, roi dela Forêt de Notnam. 

Ils luttent ainsi contre les hommes de l'est, sans plus de précisions. Il se trouve que Forces of Fantasy, évolution de la première édition de Warhammer, est également la seule version à proposer une liste d'armée arabienne. Ces Arabiens sont regroupés sous l'appellation "Hommes de l'Est", distingués des "Hommes de l'Orient" (Un prototype de Cathay et Nippon), les "Hommes du Nord" (explicitement les Norses) et les "Hommes de l'Ouest" (royaumes féodaux, évidemment prototypes de la Bretonnie). L'Alliance des elfes est donc en conflit avec les Arabiens.

Forces of Fantasy - volume 1

Relics of the Crusade

Le supplément pour Mordheim en deux parties paru dans Fanatic 96 et 97 et disponible en ligne, Relics of the Crusade, dispose de quelques éléments sur la présence elfique en Arabie, par l'intermédiaire d'objets magiques. Les voici : 

Arc de Traque

Cet arc a été offert à la princesse Shah'Razad par les marchands elfes qui fréquentent l'Arabie, en guise de cadeau pour ses récits enchanteurs. Toute flèche tirée à l'aide de cet arc magique poursuivra la cible et l'atteindra même si elle est à couvert.  

Bâton de tempête de sable

Sculpté dans le bois pétrifié d'arbres anciens soufflés par le vent, le bâton de la tempête de sable contient l'essence même du désert. Une écriture arabienne, gravée si minutieusement qu'elle peut à peine être lue par des yeux humains, suit les rainures du bâton jusqu'à l'amulette émeraude de pouvoir contenue dans sa griffe en bois. Avec l'aide des elfes, les plus grands élémentalistes arabiens ont lié le pouvoir du désert à ces bâtons, que l'on croyait autrefois perdus dans les sables. 

Il semblerait donc que les elfes et les humains d'Arabie aient eu des relations cordiales, voire amicales. On imagine mal des elfes récompenser une humaine en lui offrant un arc magique ou aidant des mages arabiens à canaliser des énergies magiques s'ils étaient en froid. S'agissant de reliques anciennes, que les pillards peuvent trouver dans le désert, il est probable que les événements concernés se sont déroulés il y des siècles, peut-être des millénaires mais ceci n'est pas précisé.

Le reste

Outre ces quelques informations parcellaires, on a quelques autres détails. On sait par exemple que les Haut Elfes sont intervenus en Nehekhara pour soutenir les Rois des Tombes contre une émergence de démons, en 666 CI. Ceci vient de Storm of Magic.

Il est mentionné, dans la trilogie de romans Nagash, qu'une légende veut que les chevaux arabiens descendent des montures elfiques, ce qui explique leur caractéristiques supérieures.

White Dwarf français N°147
Comme il s'agit d'une publication officielle, j'ai également envie de mentionner l'armée d'Elfes des sables de Ouard Moshabi, parue dans une série d'articles Le Choix des Armes à partir du White Dwarf français N°142 et jusqu'au N°147 et présentant l'évolution de son armée à thème. Celle-ci, les vestiges d'une cité elfique rassemblés sous la bannière d'Assur Lacoï, est dirigée par le Prince Mok Tar Hain (en tête d'article, personnage fortement inspirée du film Kingdom of Heaven

On pourra ajouter que dans Giantslayer, Teclis s'inquiète de la présence d'un individu appelé le Prophète de la Loi qui incite la population à expulser tous les étrangers de la péninsule. Quelle est l'identité de ce personnage ? Rien n'en est dit, mais on retrouve le thème de la xénophobie arabienne qui existait déjà chez Aklan'd.

Quand, comment et pourquoi

Bien que toutes ces informations soient plutôt morcelées, on a donc tout de même un certain nombre de choses très intéressantes qui permettent de globalement brosser un tableau général de la présence elfique en Arabie :

  • Présence elfique en Arabie avant l'essor de la civilisation nehekharéenne.
  • Relations commerciales, diplomatiques, voire amicales avec les populations humaines de la péninsule.
  • Conflit aux origines indéterminées entre les elfes et les Arabiens qui semble mettre un terme assez radical à leurs relations.

De là, il est facile d'imaginer des royaumes elfiques restés indépendants après la Déchirure et ne prenant pas partie dans le conflit (c'est le cas d'autres partie du monde elfique, Lauren et Laurelorn en étant les exemples les plus évidents), et dont la supériorité (et leur présence essentiellement sur les côtes) leur permit de résister aux morts-vivants durant les mille ans que durèrent les assauts d'Arkhan le Noir. Etant donné la description d'Aer et de son apparente volonté d'accaparer plus de richesses, peut-être ont-ils même profité de la situation pour gagner un ascendant sur les humains de la péninsule. Placer le conflit à cette époque, du moins à la fin des Guerres de la Mort, permet par ailleurs d'exploiter l'idée de légendes, héroïques ou tragiques que raconterait une Shéhérazade du monde de Warhammer : combien de royaumes, de héros, de princesses, de tragédies ont-ils pu exister durant ces mille ans ? On rejoint l'idée des Mille et Une Nuits, étendues à un Millénaire de récits, Shah'Razad enchantant elfes et humains avec ses contes, jusqu'à ce que le conflit éclate. Qui en est le responsable ? Je pense que ceci a peu d'importance et qu'il était plus intéressant d'en perdre les origines dans les méandres de l'histoire et des mémoires car, au fond, qu'Aklan'd ait convoité Shah'Razad ou non, qu'Aer ait voulu amasser des richesses sur le dos des hommes ne change rien au final et permet de garder une touche de mystère. Cela permet aussi de marquer clairement le début d'un renouveau arabien, après les Guerres de la Mort, avec l'apport d'une victoire décisive d'un personnage, Aklan'd, qui acquiert alors une telle renommée que ses préceptes perdureront durant des millénaires.